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samedi 30 avril 2022

Suisse: les défenestrés de Montreux


Lieu du crime/suicide
(Montreux)

Le jeudi 24 mars 2022, deux gendarmes se sont présentés peu après 6 heures du matin au septième étage d'un grand immeuble de standing situé au numéro 37 de la rue du Casino à Montreux où résidait la famille David-Feraoun depuis 2014. Comme l'a rappelé la police vaudoise, il s'agissait d'exécuter un mandat d'amener à Eric David, le père, délivré par la préfecture en lien avec la scolarisation à domicile d'Allan son fils. 
Les gendarmes frappent à la porte et une voix venant de l'intérieur répond "Qui est là?", avant qu'un grand silence ne se fasse en l'intérieur. Les représentants des forces de l'ordre auraient ainsi patienté près d'une demi-heure sur place avant de quitter les lieux, sans être alarmés par des mouvements particuliers dans l'appartement. 

Dans cet intervalle, un témoin a contacté les services de police pour indiquer que plusieurs personnes étaient tombées depuis le balcon d'un appartement. Une chute de plus de vingt mètres, juste devant le casino.  Un escabeau a été retrouvé sur le balcon. Au sol, sur la chaussée, gisaient les corps de cinq personnes:
  • le père Éric David, 40 ans
  • son épouse, Nasrine Feraoun, 41 ans, 
  • la sœur jumelle de cette dernière, Narjisse Feraoun-Gama, 
  • ainsi que les deux enfants du couple, une fillette de 8 ans 
  • et l'aîné Allan qui, après une chute de 25 mètres donnait encore des signes de vie. 
Les auditions des membres de la famille David-Feraoun devraient en apprendre plus sur les disparus qui, depuis quelques années déjà, avaient coupé les ponts avec leurs proches. 
C'est justement ce renfermement qui étonne dans une famille aisée, au parcours professionnel brillant. L'un des beau-frère du couple a confié ce samedi au JDD "être abasourdi"; indiquant ne plus avoir de nouvelles depuis 15 ans. "Six mois après leur mariage, Éric et Nasrine ont brutalement coupé les ponts, sans aucune explication". Il avait croisé pour la dernière fois Nasrine Faraoun dans une rue de Paris avec sa poussette où se trouvait son neveu Allan. Par ailleurs, selon les autorités suisses, la fille de 8 ans décédée ce jeudi n'apparaît sur aucun registre administratif contrairement à l'adolescent.  

Selon le journal Le Temps, trois des cinq pièces étaient ­entièrement remplies de nourriture et de médicaments, la famille vivant dans les deux pièces restantes. Les déclarations d'un habitant de l'immeuble confirment cet amoncellement curieux des occupants du 7e étage.
Cet habitant a indiqué au média suisse que les enquêteurs auraient découvert lors de leur entrée dans les lieux, un appartement rempli de cartons jusqu’au plafond. "Des cartons de nourriture, de boîtes de conserve, de médicaments", a-t-il commenté, assurant que la famille recevait quotidiennement "trois ou quatre colis par la poste''. Finalement, avec tout ce que la police a retrouvé, "il y avait de quoi remplir deux camions". 
"Ils ont commencé par demander s’il y avait des abris anti-atomiques au sous-sol et si ces derniers étaient bien ventilés. Ce n’est pas vraiment le genre de question que l’on pose en premier!", a relaté un résident au média suisse. "Se préparaient-ils pour la fin du monde?", a terminé l'interlocuteur. 


Les deux soeurs
[...] Les deux femmes qui ont perdu la vie s'appelaient Nasrine et Narjisse. Elles étaient sœurs jumelles, médecins toutes les deux et âgées de 41 ans. Elles étaient les petites-filles de l'écrivain algérien Mouloud Feraoun (c.f. détails à la fin de l'article) dont la disparition a été commémorée le 15 mars dernier à l'occasion du 60e anniversaire de sa disparition, à la demande d'Emmanuel Macron. Auteur proche d'Albert Camus et instituteur humaniste, il avait été froidement assassiné par l’OAS (Organisation de l'Armée Secrète, c.f. détails à la fin de l'article), dans les hauteurs de la capitale.
Anciennes élèves du lycée Henri IV à Paris, les deux sœurs ont été élevées dans un milieu aisé entre un père informaticien et une mère au foyer, au sein d'une fratrie de cinq enfants. 

L'épouse d'Eric David et mère de deux enfants, s'est installée comme dentiste en 2008 à Vernon dans l'Eure avant de rejoindre la Suisse en 2014 avec son époux. Période qui coïnciderait avec la naissance de leur fille. Elle a alors collaboré pendant un an dans un cabinet d’orthodontie à Bulle, dans le canton de Fribourg. Première tâche dans un parcours sans faille: en décembre 2014, le service de la santé publique fribourgeois lui retire son autorisation d’exercer pour  des raisons administratives.
Sa sœur Narjisse Feraoun, ophtalmologue, travaillait, ces derniers mois à temps partiel, à la Clinique de l’œil de Sion, dans le Valais. Elle était séparée depuis sept ans de son mari, un Français installé à Lausanne et spécialiste dans la sécurité des systèmes informatiques. 

« Selon elles (les deux sœurs), tous les vaccinés à partir de deux ans allaient mourir, elles voyaient plus ou moins la fin du monde avec des famines, la guerre civile, des pillages », affirme ce témoin. Les sœurs Feraoun auraient donc assuré vouloir « se préparer, avoir des médicaments en réserve, de l'eau potable et un plan de secours avec une communauté », ajoute-t-il.

Le père: le parcours d'un homme brillant
Derrière sa porte, c'est le dernier à avoir donné un signe de vie à un tiers. A deux gendarmes. Eric David n'a jamais ouvert aux deux hommes et il s'est muré dans le silence avant que sa dépouille ne soit retrouvée au pied de son immeuble. Un homme brillant au parcours nébuleux ces dernières années... Sur le réseau social LinkedIn, la photo de profil montre un homme souriant dans des gradins déserts de ce qui semble être le Stade de France, portant des lunettes avec un badge qui semble être celui de l’Euro de football 2016.  

Il se présente comme consultant indépendant en billetterie et affiche sept ans d’expérience au sein de trois grands ministères français, trois ans de gestion de projet dans une compagnie suisse et une formation scientifique en France. Il compte 316 relations avec lesquelles il n'apparaît pas d'interconnections publiques.
Selon le Journal du dimanche, Eric David a grandi à Marseille dans une résidence sans histoires des quartiers sud, les plus favorisés de la ville. Il est décrit, toujours selon le JDD, comme un " élève discret et doué, le meilleur de la classe", par un ancien camarade.
En 2014, comme il l'indique sur son CV sur Linkedin, il est diplômé de la prestigieuse Ecole polytechnique, dans le Top 5 avant de travailler de 2006 à 2013 dans plusieurs ministères (Budget, Affaires étrangères, ­Jeunesse et Sports) en tant qu'expert en informatique. En 2013, Éric David a rejoint Secutix, une société spécialisée dans la vente de tickets en ligne à Lausanne, avant de se mettre à son compte en 2016.

Il est décrit par les voisins comme un homme peu loquace, habillé hiver comme été en short, qui sortait rarement et il n'avait noué aucun contact avec le voisinage.
 « Quand on les voyait, ils étaient vraiment normaux, ils rigolaient entre eux, discutaient entre eux, mais dès qu'il y avait quelqu'un d'autre qu'eux cinq, c'était le silence », témoigne un voisin.
« En fouillant l'appartement, les policiers ont découvert des éléments qui permettent de dire que la famille était très intéressée par les thèses complotistes et survivalistes » [...].

sources:



- POUR ALLER PLUS LOIN -

Mouloud Feraoun
Feraoun est le nom qui a été imposé par des officiers des Affaires indigènes, chargés de la mise en place d'un état-civil aux populations kabyles après l’insurrection de 1871. Les parents de Mouloud Feraoun sont un couple de paysans pauvres, qui ont eu huit enfants dont cinq seulement ont survécu. Mouloud est le troisième d'entre eux, et le premier fils. Depuis 1910, le père a pour habitude d’émigrer périodiquement en France métropolitaine pour subvenir aux besoins de sa famille. En 1928, il est victime d’un accident et commence à vivre d’une pension d’invalidité. Ces racines familiales, sociales et culturelles sont prépondérantes pour Mouloud Feraoun, qui intitule son premier roman autobiographique Le Fils du pauvre et fait de la culture kabyle la principale composante de son identité.

Diplômé de l’École normale, il commence sa carrière d’instituteur à Taourirt Aden, petit village de Kabylie. En 1935, il est nommé instituteur à Tizi Hibel, où il épouse Dehbia dont il aura sept enfants.
Mouloud Feraoun commence à écrire en 1939 son premier roman, Le Fils du pauvre. L'ouvrage, salué par la critique obtient le Grand Prix de la ville d'Alger. Mouloud Feraoun ne s'est pas contenté de poursuivre une carrière d'enseignant, il voulait raconter au monde la vie dans la région coloniale de Kabylie. 

Propos de son amie Germaine Tillion: "Mouloud Feraoun était un écrivain de grande race, un homme fier et modeste à la fois, mais quand je pense à lui, le premier mot qui me vient aux lèvres c'est le mot: bonté...
C'était un vieil ami qui ne passait jamais à Paris sans venir me voir. J'aimais sa conversation passionnante, pleine d'humour, d'images, toujours au plus près du réel - mais à l'intérieur de chaque événement décrit il y avait toujours comme une petite lampe qui brillait tout doucement: son amour de la vie, des êtres, son refus de croire à la totale méchanceté des hommes et du destin.
Certes, il souffrait plus que quiconque de cette guerre fratricide, certes, il était inquiet pour ses six enfants [...].

sources:


L'OAS (Organisation de l'Armée Secrète)
L'OAS, est une organisation politico-militaire clandestine française proche de l'extrême droite créée le 11 février 1961 pour la défense de la présence française en Algérie par tous les moyens, y compris le terrorisme à grande échelle.
Un an après l'échec de la semaine des barricades, alors que le gouvernement français souhaite manifestement se désengager en Algérie, elle est créée à Madrid, lors d'une rencontre entre deux activistes importants, Jean-Jacques Susini et Pierre Lagaillarde, ralliant par la suite des militaires de haut rang, notamment le général Raoul Salan.
Le sigle « OAS » fait volontairement référence à l’Armée secrète (AS) de la Résistance. Il apparaît sur les murs d'Alger le 16 mars 1961, et se répand ensuite en Algérie et en métropole, lié à divers slogans : « L'Algérie est française et le restera », « OAS vaincra », « l'OAS frappe où elle veut et quand elle veut », etc.
L'OAS est responsable d'au moins 2 200 morts en Algérie et de 71 morts et 394 blessés en France3
Devise : L'OAS frappe quand elle veut et où elle veut.
L'histoire de l'OAS se présente comme la manifestation la plus radicale d'une partie de l'armée et de civils de la volonté de conserver l'Algérie française, où vivaient un million d'habitants ayant le statut de citoyens français, et huit millions d'Algériens ayant un statut juridique différent. L'Algérie ayant alors le statut de département français, l'OAS voulait s'opposer par tous les moyens à la politique d'autodétermination mise en place par Charles de Gaulle à partir de la fin de l'année 1959.



FLN
Le Front de libération nationale (FLN, en arabe : جبهة التحرير الوطني ; en berbère : Tirni n Weslelli Aɣelnaw) est un parti politique algérien. Il est aujourd'hui dirigé par Baadji Abou El Fadhel depuis 2020. Le FLN est créé en octobre 1954 pour obtenir de la France l'indépendance de l'Algérie..

source:



L'OAS et le FLN contre Mouloud Feraoun

« Quand le journal de Feraoun est sorti en 1962, les gens du FLN ne l’ont pas aimé. Ils n’ont pas aimé que Feraoun dénonce les complots qu’ils étaient en train de faire depuis 1958 » [...]. Après la disparition de l’écrivain, les dirigeants de l’Algérie indépendante s’en prennent à sa famille. 
Le 15 mars 1962, au matin, Mouloud Feraoun est assassiné par l'OAS avec cinq de ses collègues de l'Éducation nationale à quelques jours seulement de la signature des Accords d'Évian qui mettent fin à la Guerre d'Algérie. Apprendre à lire et à écrire à des enfants, donner un métier à des adultes, soigner des malades - ce sont des choses si utiles qu'elles en paraissent banales : on fait cela partout, ou, à tout le moins, on a envie de le faire. [...] Et c'était de quoi s'entretenaient ces six hommes, à 10 heures du matin, le 15 mars 1962 ...". Les victimes étaient :
  • Marcel Basset, directeur du Centre de formation de l'éducation de base à Tixeraïne (CSE d'Algérie) ;
  • Robert Eymard, ancien instituteur et chef du bureau d'études pédagogiques aux CSE ;
  • Mouloud Feraoun, directeur adjoint au chef de service des CSE, ancien instituteur et écrivain ;
  • Ali Hammoutène, inspecteur de l'Éducation nationale, directeur adjoint aux CSE et ancien instituteur.
  • Max Marchand (né en 1911), inspecteur d'académie, chef de service aux CSE et ancien instituteur ;
  • Salah Ould Aoudia, ancien instituteur et inspecteur des centres de la région Alger Est.
Trois membres de l'organisation clandestine firent irruption. Ils désignèrent des noms sur une liste. Six hommes se sont levés. À 10 h 45 un « commando Delta » (bras armé de l'OAS, fondé par le Dr Jean-Claude Pérez - médecin généraliste à Bab El Oued et le lieutenant Roger Degueldre - un militaire âgé de 35 ans, déserteur du 1er Régiment étranger de parachutistes) pénètre dans la salle de réunion et fait sortir les six hommes du bâtiment. Ceux-ci sont alignés contre un mur de la cour et abattus à l'arme automatique. Le soir même, le général de Gaulle à Paris et M. Ben Khedda à Tunis annonçaient la fin des combats...

Six ans plus tôt, l'auteur avait jugé ses assassins : " J'ai horreur de ceux qui tuent, non parce qu'ils peuvent me tuer, mais parce qu'ils ont le courage de tuer. "Le 17 mars 1961 il écrivait dans son Journal : "[...] je me dis : " Vive la France, " telle que je l'ai toujours aimée ! " Vive l'Algérie telle que je l'espère ! ". Ainsi, « On a demandé [...] d’enseigner dans les facultés d’Alger que Feraoun est un écrivain assimilationniste », affirme son fils Ali Feraoun. 

« J’ai vu mon père à la morgue quelques heures après sa mort. On lui avait logé 12 balles dans le corps… La salle était pleine ce jour, au moins une centaine de cadavres. Mon père gisait au milieu sur une table » déclare Ali.
Jean-Philippe Ould Aoudia (fils de Salah Ould Aoudia l'une des six victimes) a enquêté minutieusement, recoupé les documents, vomit les clauses des amnisties successives qui rendent le crime innommable et font taire les proches des victimes. Son but : traquer les assassins de son père, relire cette tuerie planifiée, établir les complicités en hauts lieux, pointer du doigt les inconscients et les aveugles, reconstituer l'atmosphère d'affolement à Alger au printemps de 1962, qui laissait proliférer l'exécution  et l'attentat méthodique de commandos surentraînés [d'après Jean-Pierre Rioux, Le Monde du 20 mars 1992].

sources:


Les chats ne font pas des chiens. Nasrine et Narjisse Feraoun ont probablement été bien éduquées, enseignées, renseignées et confrontées à la dur réalité du monde politique et social, comme le fut leur grand-père Mouloud Feraoun. Savaient-elles quelque chose de particulier qui menaçait leur vie ? Avaient-elles l'intention de divulguer des informations sensibles ? Et quid du mystérieux Eric David ?





- LE REPORTAGE DE TF1 -







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