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jeudi 1 août 2019

Frégate espagnole « Nuestra Señora de las Mercedes » : à qui appartient le trésor ?


Aux descendants des marchands qui, selon les documents retrouvés dans les Archives des Indes à Séville, avaient entassé 697 621 pesos à bord de la Mercedes ? Au gouvernement du Pérou, qui lorgne une part de ces pièces d'argent sous prétexte qu'elles ont été frappées sur son territoire ?

La frégate espagnole « Nuestra Señora de las Mercedes » avait sombré en pleine mer Méditerranée en 1804, non loin des côtes d’Algarve (Portugal) entraînant avec elle sa précieuse cargaison en provenance de la vice-royauté du Pérou. C’est seulement en mai 2007 que l’entreprise nord-américaine Odyssey, spécialisée dans la recherche de trésors sous-marins, a localisé l’épave pour en extraire, à plus de 1100 m de profondeur quelque 595 000 pièces de monnaie, la plupart en argent, mais aussi en or, estampillées à l’effigie du monarque espagnol Charles IV (Charles IV de Bourbon, 1748–1819) et frappées en grande majorité à Lima en 1796.

L’ambassadeur du Pérou aux États-Unis, Harold Forsyth, a assuré qu’il ferait appel de la décision de justice américaine légitimant le transfert du trésor (estimé à 500 millions de dollars soit 380 millions d’euros) depuis la Floride jusqu’à l’Espagne, car il juge le Pérou propriétaire de ces métaux précieux obtenus sur le sol sud-américain durant la Colonisation. « Il n’est pas possible qu’une cargaison originaire du Pérou… entièrement produite par la main-d’oeuvre des travailleurs péruviens, ne soit pas considérée comme un bien appartenant au Pérou », a-t-il déclaré.
De son côté Rodolfo Rojas Villanueva, activiste culturel du mouvement Patria Verde de la région andine a tenu à souligner : « je demande au gouvernement espagnol, par l’intermédiaire de Mariano Rajoy, la restitution des trésors trouvés par Odyssey, il s’agirait d’une forme de réparation pour les préjudices commis par leurs ancêtres durant quasiment 300 ans, période durant laquelle a duré la colonisation espagnole. Cela constituerait une justice historique ».

Selon Rojas Villanueva, les plaies restent ouvertes dans les Andes concernant la colonisation espagnole, c’est pourquoi il déclare, « ces monnaies sont faites du sang, de la sueur et des larmes de nos ancêtres » tout en ajoutant « aujourd’hui les régions du Pérou profond d’où ont été extraits ces métaux nécessaires à l’élaboration de pièces de monnaie : Pasco, Huánuco, Cajamarca, Junín, Huancavelica, Ayacucho, Cusco, Puno, entre autres, réclament la restitution des métaux précieux ».
« Les Espagnols ont été génocidaires avec les indigènes du Pérou, des millions d’individus ont péri dans les entrailles de la terre en cherchant les métaux », a déclaré Rodolfo Rojas Villanueva, qui dirige un mouvement d’activisme culturel, social et écologique au Pérou.
Dans l'immédiat, les diplomates espagnols tentent d'amadouer le gouvernement péruvien. Madrid espère trouver rapidement un accord pour que, après la restitution du butin, une partie des monnaies aille à un musée de Lima. A charge de revanche, le Pérou ne pourrait-il pas ratifier la convention de l'Unesco pour la protection des biens culturels subaquatiques que l'Espagne appelle de ses voeux ? Il manque la signature de deux pays pour qu'elle soit enfin adoptée

Pour l’historienne Mariana Mould de Pease, […] le seul moyen que le Pérou ait de faire entendre sa voix consiste en la signature de la Convention de Nations unies sur la protection du patrimoine culturel subaquatique souscrit à Paris le 2 novembre 2001. « Il faut faire partie du groupe, et négocier avec l’Espagne […] ».
Le ministère des Affaires extérieures péruvien a souligné de son côté que les pièces de monnaie ont été élaborées grâce à la matière première obtenue au sein des mines qui se trouvent, à l’heure actuelle, sur le territoire péruvien. « L’État péruvien soutient qu’il a des droits sur la cargaison même si nous reconnaissons que le navire était espagnol », a-t-il souligné. Il a également assuré que le Droit international, dans le cadre de la succession d’États, privilégie les droits de l’État successeur (le Pérou) sur ceux de l’État prédécesseur (l’Espagne). « C’est sur la base de ce principe que notre pays réclame les biens trouvés sur le navire ‘Nuestra Señora de las Mercedes y las Ánimas' ».

De son côté, la diplomate de Lima, Liliana Cino, a déclaré « Ces pièces de monnaie ont été extraites d’ici, elles sont le fruit du travail péruvien. Ce que nous avons demandé au juge c’est de définir l’appartenance du chargement pas celle du navire, la cargaison appartient au patrimoine culturel péruvien ».
L’Espagne réfute cet argument en soulignant que le Pérou n’existait pas comme nation au moment du naufrage, il s’agissait d’une colonie espagnole (le Pérou accédant à l’indépendance en 1821).
Le ministère de la Culture espagnol, José Ignacio Wert, a déclaré à CNN que la motivation de son pays n’était pas financière, mais qu’il s’agissait de mettre en valeur un patrimoine en l’exposant dans différents musées nationaux et peut-être même en dehors des frontières. « Nous sommes ouverts à la possibilité de partager ce trésor entre différents musées d’Amérique latine [en qualité de prêt] ». En effet, la Bolivie et l’Équateur ont eux aussi revendiqué début mars la paternité de ce trésor sous-marin, pour rappel la vice-royauté du Pérou englobait une grande partie des actuels pays sud-américains, dont le fameux Cerro de Potosi (une montagne de minerai d’argent localisée en Bolivie), ce qui ajoute une dose de complexité si besoin en était.

 Le Pérou garde aujourd’hui le goût amer d’un patrimoine culturel dérobé, on se souvient de la lutte acharnée menée par les autorités pour récupérer les pièces archéologiques du Machu Picchu conservées à l’université de Yale après la découverte du site en 1911 par l’explorateur américain Hiram Bingham, des objets rares finalement restitués au Pérou en 2011.


sources :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2008/10/03/500-millions-de-dollars-sous-la-mer_1102737_3244.html
http://www.actulatino.com/2012/03/14/perou-le-tresor-maritime-decouvert-par-odyssey-revendique-par-l-espagne-et-le-perou/





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